Carte Blanche : III Collective – In Praise of Shadows
III est un espace géré par des artistes basé à la Hague. III aide à développer des trajectoires de recherches artistiques qui se déplacent entre les disciplines et les réseaux de distributions de la création.
Par l’invention de nouveaux instruments et de présentation en dehors de tout schéma classique qui engage les quatre dimensions de l’image, du son, de l’espace et du corps. III propose une expérience unique qui est offerte à toute sorte de publique.
Vernissage mardi 12 juillet à 19h
Visite : Du jeudi au samedi de 15h à 18h
Entré libre – Plateforme Intermédia – La Fabrique, 8 boulevard Léon Bureau à Nantes
https://www.facebook.com/events/1021261354606303/
Lorsque l’obscurité du lieu fond sur votre langue
Charlotte Farrell
Dans le livre de Junichiro Tanizaki In Praise of Shadows (l’Éloge de l’Ombre), à partir duquel l’exposition du même titre puise son inspiration, l’auteur commence sa réflexion sur la qualité méditative d’une salle de bains traditionnelle japonaise. Il explique que la lumière, le son et la texture fusionnent pour créer une ambiance que les salles de bain occidentales ont tendance à négliger. La blancheur, la brillance presque artificielle de celles-ci dénotent crûment avec les boiseries et la lumière tamisée de la japonaise. Non seulement ces éléments boisés ont un but esthétique mais également sonore ; ils adoucissent la réverbération et absorbent le volume, réduisant l’eau à un doux filet, comme s’il coulait doucement sur des pierres.
Dans son oeuvre, Tanizaki demande alors à la salle de bains occidentale : “Quel besoin y a-t-il de nous rappeler avec tant de force la question de notre propre corps ?” Comme le fait le travail qui émerge de la démarche artistique du collectif III, basé à la Hague, et qui questionne le rôle du corps et de sa relation à l’espace, à l’autour. Radicalement interdisciplinaire, ces artistes créent alors autour de mediums avec une curiosité féroce et des compétences rigoureuses et inventives. Le travail intégré à l’exposition In Praise Of Shadows explore et questionne le potentiel illimité du corps et de ses sensations, de sa sensibilité. En particulier la relation entre le corps et le son dans l’espace, avec quel potentiel les rencontres peuvent etre construites pour devenir attentif aux sensations dépassant la peau & ses limites physiques.
Les artistes du collectif III recadrent la vision, lui conférant le rôle d’organe senseur principal, ouvrant la voie au transfert intermodal. Ce transfert intermodal résulte dans l’imbrication des sens, la synesthésie est un exemple extrême de cette intermodalité où le son devient goût, le goût devient couleurs, etc… Dans la vidéo de Wen Chin, OHHO/Body Cello, la “corporification” de l’environnement crée une atmosphère voluptueuse où le corps sonne et résonne à travers la pièce ; De la même manière dans Magnetoceptia, de Dewi de Vree et Patrizia Ruthensteiner, où du bois noueux devient une antenne radio et étend littéralement le corps dans son environnement. L’indistinction des limites sensationnelles dans ces oeuvres défie l’idée d’un sujet humain autonome, et de ses cinq sens soigneusement compartimentés.
Dans la dernière itération de Jonathan Reus, incluse dans l’exposition, son et mouvement se lient ; de sorte que les corps des danseurs produisent des sons grâce à leurs mouvements, autant que le mouvement est produit par le son. A son tour, Matteo Marangoni crée des rencontres ludiques où le son opère comme une boussole réverbérante dans son environnement. L’attention de ces artistes à la matérialité du lieu modifie alors le son vers un phénomène de performance et d’architecture.
La lumière tamisée est souvent utilisée par certains artistes pour assouplir le regard du spectateur, étendant sa perception à la périphérie. Pour Tanizaki, la beauté de la céramique et de la poterie japonaise est gaspillée par la lumière électrique. Les surfaces dorées à la feuille sont destinées à être une source naturelle de lumière dans une pièce éclairée aux chandelles. Les artistes s’engagent alors avec des matériaux qui attirent l’attention sur les bords de la vision, l’élargissant à la périphérie et au-delà grace à des installations ornementales et pratiques.
Shadow Puppet, de Mariska de Groot et Dieter Vandoren est une oeuvre demeurant dans la frontière floue entre ombre et luminosité : Le corps humain devient une extension de l’appareil qui génère du son et de la lumière à travers une chorégraphie. Ainsi, le bord du monde visible est lié aux limites du corps, évoluant presque dans l’ombre et permettant ainsi à des formes perceptives d’émerger.
Dans un autre passage de son livre, Tanizaki décrit le yōkan, un dessert japonais fait à base de pâte de haricots rouges ; il écrit “Vous prenez sa substance lisse et fraîche dans votre bouche, et c’est comme si l’obscurité du lieu était en train de fondre sur votre langue.” La relation entre la lumière tamisée de la chambre et le yōkan fondant dans sa bouche est une rencontre méditative, proche de quelque-chose de divin. Il mange avec ses yeux, il voit avec sa langue, il sent avec son toucher ; Dans le transfert intermodal, les sens se brouillent, se mélangent, se fondent. La netteté qui distingue habituellement les cinq sens est moins marquée, elle évolue alors dans l’ombre. Les oeuvres d’art d’In Praise of Shadows illuminent délicatement cette ombre et pousse son indistinction vers des créations dynamiques.
Chaque artiste de l’exposition évoque un rituel à travers le processus individuel de brouillage des sensations. Ils demandent : “Comment l’art peut-il déplacer l’emphase de nos corps vers des voies qui renouvellent les sensations, comment renouveler la perception de celles-ci ?” Les oeuvres d’In Praise of Shadows jouent en poésie avec leur environnement, le dessinent, le sonorisent, le plient et le modifient à la perception de chacun. L’architecture intermodale de l’exposition lie la rencontre sensorielle avec une puissance et une poésie, avec un éloge de l’ombre.