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+ | **Le cinémade l’observation de Phill Niblock** | ||
+ | JUAN CARLOS KASE | ||
+ | |||
+ | Bien loin des traditions artistiques du cinéma expérimental et des | ||
+ | idéologies orthodoxes du documentaire, | ||
+ | d’une pratique extraordinairement prolifique de film indépendant qui reste | ||
+ | sans précédent conceptuel. Sa filmographie comporte plus de quarante | ||
+ | heures de film 16 mm et de vidéo, tournées pour la plupart dans des lieux | ||
+ | très reculés, du Lesotho à Chengdu. L’ampleur de ce travail n’a d’égale que | ||
+ | sa singularité stylistique : les films de Niblock évitent soigneusement tout | ||
+ | montage, toute manipulation photographique, | ||
+ | situer sa pratique d’observation artistique au sein d’un espace de réprésen- | ||
+ | tation dépouillé, | ||
+ | festent une grande uniformité de contenu ; l’imagerie autour de laquelle | ||
+ | se construisent ses longues prises de vue est celle de textures organiques, | ||
+ | qu’il s’agisse de la vie des plantes, du corps ou du visage humains. | ||
+ | Observation neutre et rigoureuse, le travail filmique de Niblock se révèle | ||
+ | visuellement direct et précis, dénué d’intentions réthoriques explicites ou d’ob- | ||
+ | jectifs idéologiques. Sans prétention aucune, l’artiste décrit ses films comme | ||
+ | des œuvres basées sur « l’image de la réalité ». Dans un essai influent de 1966, la | ||
+ | critique Susan Sontag décrit de quelle manière le cinéma permet d’atteindre | ||
+ | une sorte de transparence conceptuelle : « il existe une autre façon, idéale, de | ||
+ | lutter contre l’interprétation : réaliser des œuvres d’un grain si lisse, d’un élan | ||
+ | si vif et si spontané, qu’il deviendrait impossible de voir en elles autre chose | ||
+ | que ce qu’elles sont. Mais est-ce possible dès maintenant ? Cela se produit au | ||
+ | cinéma, il me semble. » 1 Sontag aurait très bien pu faire référence à Niblock, | ||
+ | même si ce n’est pas précisément le cas ; sa prose capture à la perfection la | ||
+ | sensibilité qui opère au cœur de ce rigoureux travail filmique d’observation. 2 | ||
+ | période, la critique de Sontag porte | ||
+ | souvent sur les nouvelles formes | ||
+ | hybrides d’art expérimental directement influencées par le milieu culturel | ||
+ | qui nourrira aussi les premiers travaux musicaux et filmiques de Niblock. | ||
+ | |||
+ | |||
+ | FILM & MEDIA SECTION | ||
+ | |||
+ | Entre les films et la production musicale de Niblock, minimaliste | ||
+ | et austère, la comparaison est inévitable : les stratégies esthétiques qu’il | ||
+ | emploie dans ses pièces musicales et dans sa production cinématographique | ||
+ | trahissent des corrélations évidentes qu’on ne peut ignorer. Dans chacune | ||
+ | de ces deux approches, le point crucial est la mise en forme rigoureuse | ||
+ | d’une expérience sensorielle réduite à ses conditions les plus élémentaires. | ||
+ | Diffusées en public, de telles œuvres offrent au spectateur une sorte de ren- | ||
+ | contre ouverte, ce qui peut les rendre difficiles à interpréter, | ||
+ | gère Sontag : en effet, dans toute leur simplicité, | ||
+ | Le cinéma de Niblock, tout comme son art sonore minimaliste, | ||
+ | à la fois de de rigueur conceptuelle et de simplicité, | ||
+ | prétation. Ces films récalcitrants échappent à toute évaluation critique, | ||
+ | car, comme le suggère le critique Tom Johnson, « il est à peu près aussi difficile | ||
+ | de décrire le style visuel de Niblock que son style musical. » 3 | ||
+ | Dans un film, Niblock s’attarde sur des gouttes d’eau tremblant légèrement | ||
+ | sur une feuille verte ; dans un autre, il cadre avec soin des pêcheurs retirant | ||
+ | le limon de leurs filets ; dans un travail plus récent, il présente le témoignage | ||
+ | ininterrompu, | ||
+ | racontant sa confrontation, | ||
+ | Si les sujets de ses films varient, ceux-ci manifestent une orientation sty- | ||
+ | listique sous-jacente et une sensibilité conceptuelle certaine. En dépit de | ||
+ | l’absence de mise en scène ou de protocole lors des prises de vue, les images | ||
+ | révèlent une telle discipline d’observation, | ||
+ | posture visuelle et une composition si élégantes, | ||
+ | production s’en trouve contredite. Avec une grande rigueur formelle, une | ||
+ | précision de la vision, Niblock entreprend une vaste expérimentation ciné- | ||
+ | matographique dont la cohésion thématique et philosophique rivalise avec | ||
+ | celle de sa musique. Sa production filmique depuis le début des années 1970 | ||
+ | constitue un corpus d’œuvres qui reste encore à intégrer dans l’histoire du | ||
+ | cinéma indépendant. | ||
+ | Après quelques incursions, dans les années 1960, dans le domaine du | ||
+ | film underground — avec des travaux formateurs explorant tour à tour les | ||
+ | formes narratives (Morning, 1966-69), les associations abstraites (The | ||
+ | Magic Sun, 1966-68) ou la manipulation de la représentation (Dog Track, | ||
+ | 1969) — le travail filmique de Niblock commence à prendre une certaine | ||
+ | direction esthétique et conceptuelle. 4 La singularité de sa vision cinémato- | ||
+ | graphique découle peut-être d’une construction autour d’un noyau récurrent : | ||
+ | l’utilisation, | ||
+ | aux envolées poétiques ou à l’expressivité plastique. Avec THIR (1971), | ||
+ | la série The Movement of People Working (1973-91) et Anecdotes from Childhood | ||
+ | (1986-92), il dresse une véritable cosmologie cinématographique, | ||
+ | des règles tout aussi singulières et déterminées que celles de ses expéri- | ||
+ | mentations sonores. Bien que l’on puisse concevoir la production filmique | ||
+ | de Niblock comme un accompagnement visuel à ses innovations musicales | ||
+ | mieux connues, ces œuvres méritent leur propre considération critique | ||
+ | et historique. | ||
+ | |||
+ | ORIGINES | ||
+ | |||
+ | « C’était une période très intense [...] j’allais voir beaucoup de concerts, | ||
+ | des performances, | ||
+ | je travaillais avec Elaine Summers. Puis j’ai fait beaucoup de choses avec | ||
+ | le Judson Dance Theater, j’y allais tout le temps. J’ai fait des films pour beau- | ||
+ | coup de danseurs durant cette période, entre 1965 et 1970. Je développais | ||
+ | également des environnements interactifs. » | ||
+ | Dans la deuxième moitié des années 1960, Phill Niblock participe et assiste | ||
+ | avec enthousiasme aux développements les plus captivants de la culture | ||
+ | performative new-yorkaise. Le raz-de-marée artistique de l’expérimentation | ||
+ | interactive, | ||
+ | d’hybridations inédites, telles le happening, l’expanded cinema, la perfor- | ||
+ | mance interactive ou encore le théâtre expérimental — représente alors un | ||
+ | registre novateur de rencontres entre des formes artistiques considérées | ||
+ | jusque-là par la critique américaine comme des disciplines indépendantes, | ||
+ | isolées. Les œuvres majeures de cette mouvance mettent souvent à l’épreuve | ||
+ | divisions disciplinaires et spécificité du médium, en mêlant, sur un même | ||
+ | plan, différents média, dont la performance et diverses technologies audio- | ||
+ | visuelles. Des artistes comme Allan Kaprow, Robert Rauschenberg, | ||
+ | Cage, Claes Oldenburg, Jim Dine, Robert Morris, Carolee Schneemann, | ||
+ | Andy Warhol, Nam-June Paik, Robert Whitman ou Yvonne Rainer étudient | ||
+ | toutes sortes de média, dont la peinture, la sculpture, le cinéma, la vidéo, | ||
+ | la musique et la danse, mais étendent les frontières de leur art afin de remettre | ||
+ | en question les valeurs de la critique et de lever le voile de l’interprétation | ||
+ | que celle-ci avait jeté sur l’œuvre des artistes américains de la génération précédente. Cette mutation dans les énergies culturelles d’après-guerre, | ||
+ | que Sontag qualifie de « sensibilités nouvelles » 5 , ruinera les impératifs | ||
+ | puristes de la critique moderniste, qui s’était appliquée, derrière Clement | ||
+ | Greenberg et son disciple le plus influent, Michael Fried, à bien séparer | ||
+ | les différentes formes d’art, avec un accent mis de manière presque puritaine | ||
+ | sur la spécificité du médium. À la grande consternation de ces critiques, | ||
+ | au sein du mouvement intermédia de la deuxième moitié des années 1960, | ||
+ | les peintres se tourneront vers la performance, | ||
+ | teront avec les formes théâtrales, | ||
+ | cinéma. C’est dans ce milieu que l’identité artistique de Niblock mutera de | ||
+ | celle de photographe à celle de cinéaste, puis de compositeur, | ||
+ | tiste intermédia. Sa production artistique est sous-tendue dans sa totalité | ||
+ | par l’héritage critique de cette époque. | ||
+ | Dans les années 1960 et au début des années 1970, Niblock collabore avec | ||
+ | des artistes et des chorégraphes associés au Judson Dance Theater au sein | ||
+ | de nombreux projets. Dans cette atmosphère socio-artistique particuliè- | ||
+ | rement palpitante, il lui arrive souvent de tourner des films pour des dan- | ||
+ | seurs, qu’ils incorporent ensuite dans leurs performances. De 1968 à 1972, | ||
+ | il présentera quatre projets intermédia (certains en plusieurs versions) dans | ||
+ | différentes lieux de New York, intitulés Environments I, II, III et IV. Chacune | ||
+ | de ces œuvres combine projections multi-écrans, | ||
+ | diapositives couleur de 35 mm et musique composée pour l’occasion (dif- | ||
+ | fusée sur bandes, et quelquefois interprétée par des musiciens). D’une per- | ||
+ | formance à l’autre, les relations, les interactions et les hiérarchies entre les | ||
+ | différentes formes artistiques sont en constante mutation, suggérant la | ||
+ | flexibilité de fonction de ces différents média, leur instabilité, | ||
+ | ture structurelle. | ||
+ | L’œuvre qui inaugure cette entreprise interdisciplinaire sera présentée | ||
+ | pour la première fois à la Judson Church, en décembre 1968. Elle mêle | ||
+ | film et danse, et marque de manière significative les débuts du travail | ||
+ | de compositeur de Niblock, qui y présente une pièce qu’il a composée et | ||
+ | enregistrée sur l’orgue de la Judson Church. Ce cycle inclut Cross Country | ||
+ | (Environments II), qui montre des images qu’il a tournées en sillonnant les | ||
+ | États-Unis sur sa moto, et Hundred Miles Radius, filmé dans un rayon de | ||
+ | 100 miles autour de Clinton, dans l’état de New York. La dernière œuvre | ||
+ | de cette série est THIR (ou Ten Hundred Inch Radii, Environments IV, 1972), | ||
+ | une performance comprenant plus de deux heures de prises de vues de la | ||
+ | nature, filmées par Niblock en 16 mm dans les monts Adirondacks, | ||
+ | le nord de l’état de New York. La première présentation publique de ce tra- | ||
+ | vail, qui aura lieu en 1972 à l’Everson Museum de Syracuse, inclut également | ||
+ | de la musique enregistrée pour l’occasion, | ||
+ | ainsi que des sections de danse simultanée (avec Ann Danoff et Bar- | ||
+ | bara Lloyd) . Les films sont montrés sur un écran de douze mètres de | ||
+ | large sous la forme d ’un tryptique d ’images en mouvement de trois | ||
+ | mètres par quatre. THIR est une œuvre saisissante, | ||
+ | parmi les premières expérimentations de Niblock, restera l’une des plus | ||
+ | captivantes, | ||
+ | et la danse. | ||
+ | Si THIR fut créé en tant qu’élément à intégrer dans un environnement | ||
+ | intermédia, | ||
+ | un mode de travail totalement voué à l’observation. Dans sa forme abrégée, | ||
+ | THIR dure environ quarante-cinq minutes et comprend trente plans diffé- | ||
+ | rents, qui n’apparaissent chacun qu’une seule fois. Ils durent tous un peu | ||
+ | plus d’une minute, ce qui est plutôt long, quel que soit le référentiel. Cette | ||
+ | insistance dans la durée des prises de vue est un élément primordial de la | ||
+ | sensibilité cinématographique de Niblock. Visuellement, | ||
+ | rise par une incroyable cohésion. Chaque détail de la nature qu’il nous est | ||
+ | donné à voir — dont des plans extrêmement rapprochés sur des feuilles, des | ||
+ | ruisseaux, des fleurs, des fourmis — révèle un sens aigu de la composition | ||
+ | et contribue à la richesse de ce champ visuel foisonnant, tout en nuances. | ||
+ | Par le choix d’angles de vue serrés, de plans très rapprochés, | ||
+ | confinés, Niblock délivre une intimité visuelle et matérielle pleine de | ||
+ | poésie, une sorte de beauté classique, mélancolique. Pourtant, c’est bien à | ||
+ | travers une organisation pointilleuse et stricte de la matière visuelle que | ||
+ | s’accomplit ce lyrisme, et non par une composition expressive, gestuelle | ||
+ | ou spontanée. | ||
+ | Les films de Niblock, tout comme sa musique, ont une structure rigou- | ||
+ | reuse, sans pour autant verser dans une raideur clinique. Le spectre de | ||
+ | couleurs mis en avant par la photographie de THIR est très vaste, avec des | ||
+ | zones très sombres, des éclairages en clair-obscur, | ||
+ | microscopiques sur des détails naturels concrets, tactiles. Ruissellement | ||
+ | de l’eau, feuilles tremblant avec le vent, lumière jaillissant d ’entre les | ||
+ | branches de la forêt — tous les plans du film sont fixes. Lorsqu’un mouve- | ||
+ | ment se produit, c’est dans le champ, et c’est toujours l’expression de forces | ||
+ | naturelles comme le vent, l’eau, le mouvement frénétique des insectes, et | ||
+ | non le résultat de mouvements de caméra du cinéaste. Entièrement tourné | ||
+ | sur un trépied, ce film déploie une palette visuelle saturée, exacerbant | ||
+ | les nuances naturelles du spectre de couleurs de la forêt. Il se compose | ||
+ | d’interprétations photographiques incroyablement belles, hautement | ||
+ | esthétisées, | ||
+ | Nous voyons un plan panoramique sur des montagnes, puis ce sont les | ||
+ | étamines d’une plante, cadrées de très près, ou encore les reflets abstraits | ||
+ | de la lumière à la surface d’un cours d’eau. L’échelle fait des bonds radicaux | ||
+ | d’une image à l’autre. Avec ces changements de perspective et de champ de | ||
+ | vision, le film adopte un système binaire qui alterne entre vastes paysages | ||
+ | et minuscules détails, avec une grande conscience logique de la structure | ||
+ | et de la composition. Grâce à ces transitions, | ||
+ | série d’observations indépendantes, | ||
+ | abstraits associés les uns aux autres — ce que l’on voit souvent dans des films | ||
+ | d’avant-garde plus expressifs, plus gestuels. Les plans les plus larges, qui | ||
+ | montrent le mouvement des nuages, la crête des montagnes ou de lointaines | ||
+ | vallées, ont été filmés avec un faible nombre d’images par seconde, ce qui | ||
+ | produit un effet d’accéléré qui précipite la temporalité de l’observation. | ||
+ | Les rayons de lumière jaillisent des nuages avec rapidité, ceux-ci filant à | ||
+ | travers les vallées et les forêts, dévoilant un coucher de soleil en l’espace | ||
+ | d’une minute. | ||
+ | Les œuvres de Niblock semblent démanteler l’effet rythmique qui s’as- | ||
+ | socie généralement au cinéma : « le montage ne m’intéresse pas. L’édition | ||
+ | non plus. Je cherche, justement, à me débarasser du montage. D’après moi, | ||
+ | lorsque les plans durent plus de dix secondes, on perd complètement l’im- | ||
+ | pression rythmique due au montage. » Cette lenteur uniforme des séquences | ||
+ | résulte indéniablement en une temporalité qui est bien spécifique aux films | ||
+ | de Niblock. Comme il l’indique plus haut, cela permet d’offrir l’expérience | ||
+ | d’un cinéma non narratif qui se démarque des travaux de montage de l’avant- | ||
+ | garde (ce qu’on peut voir, par exemple, dans les œuvres de Stan Brakhage ou | ||
+ | de Bruce Conner.) Toutefois, il faut bien admettre que si ces films brisent | ||
+ | délibérément la pulsation ou le tempo que produirait un découpage plus | ||
+ | rapide, ils n’en manifestent pas moins une qualité rythmique qui leur est | ||
+ | propre — c’est d’ailleurs le cas de toutes les œuvres qui s’étendent sur de lon- | ||
+ | gues durées, que ce soient les Vexations d’Erik Satie (1893) ou Sleep, d’A ndy | ||
+ | Warhol (1963). Les schémas rythmiques de telles œuvres ne produisent pas | ||
+ | vraiment de pulsation, mais s’attardent avec insistance ; quant aux films de | ||
+ | Niblock, l’expérience visuelle qu’ils produisent tient plus du statique que | ||
+ | du cinétique. | ||
+ | Ses films, comme sa musique, dissipent cette impression d’une autorité | ||
+ | créatrice qui ferait spontanément des choix artistiques un moment après | ||
+ | l’autre. Si la présence du cinéaste résonne à travers son travail, c’est d’une | ||
+ | manière bien différente, | ||
+ | veut plus méditatif qu’expressif. De ce point de vue, son travail se démarque | ||
+ | de celui de nombreux artistes intermédia de l’époque, | ||
+ | piration était la gestuelle picturale autobiographique de l’expressionnisme | ||
+ | abstrait — comme l’explique remarquablement Allan Kaprow dans son essai | ||
+ | L’Héritage de Jackson Pollock. Selon Kaprow, « Pollock pouvait sincèrement | ||
+ | dire qu’il était “à l’intérieur” de son œuvre » 6 , ce qui sera le cas de nombre | ||
+ | d’artistes de la performance qui perpétueront cet héritage. En fait, cet accent | ||
+ | mis sur le geste et la contingence, | ||
+ | aura également une influence en profondeur sur le cinéma d’avant-garde, | ||
+ | qui saisira une urgence somatique, autobiographique, | ||
+ | Marie Menken, Stan Brakhage, Carolee Schneemann et bien d’autres. Les | ||
+ | films de Niblock partagent avec cette tradition lyrique l’idée de rencontre | ||
+ | en temps réel, ici avec la beauté des phénomènes naturels ; cependant, ils se | ||
+ | développent selon un axe esthétique qui déroge aux tendances expressives | ||
+ | du cinéma américain d’avant-garde. L’intelligence créatrice de l’artiste ne se | ||
+ | situe pas dans une contingence corporelle mais bien dans la composition et | ||
+ | les concepts qui sous-tendent son travail. | ||
+ | Parmi les structures intellectuelles et esthétiques composant ses travaux | ||
+ | cinématographiques, | ||
+ | commun pour organiser la matière sonore et visuelle de THIR. Avec quatre | ||
+ | instruments — flûte, violon, saxophone ténor et voix — il compose une pièce | ||
+ | de musique (qui deviendra la bande-son du film) dans laquelle la hauteur et | ||
+ | le timbre des notes change très légèrement, | ||
+ | minimaliste épouse le rythme lent de la végétation luxuriante visible dans | ||
+ | le film, dans une progression tout aussi subtile et austère. Les mouvements | ||
+ | sonores sont plus importants que ceux que l’on entend généralement dans | ||
+ | la musique de Niblock, couvrant de plus larges intervalles. Curieusement, | ||
+ | cette stratégie esthétique parvient à une sorte de mélodie — une mélodie | ||
+ | dépouillée, | ||
+ | tionnelle que les autres : celle-ci rappelle plus l’horizontalité de la musique | ||
+ | minimaliste que les empilements verticaux de bourdons de sa discographie | ||
+ | plus tardive. Cette pièce donne l’impression, | ||
+ | d’un développement, | ||
+ | n’est qu’en partie. Tom Johnson la décrit comme « la seule de ses pièces [...] | ||
+ | qui suit une construction dramatique. Par moments, la pièce a des accents | ||
+ | douloureux, mais je ne sais pas vraiment pourquoi, car ça ne ressemble à | ||
+ | aucune plainte, à aucune lamentation qui me vienne à l’esprit. » 8 Niblock a | ||
+ | toujours expérimenté, | ||
+ | gence entre l’image et le son ; pourtant, dans ce projet plus ancien, la bande- | ||
+ | son qu’il choisit d’ajouter renforce à la perfection le lyrisme méditatif et | ||
+ | alangui de son cinéma lent et dépouillé — bien que cette musique n’ait pas | ||
+ | été composée initialement pour le film. L’expérience d’observation synes- | ||
+ | thésique qui émerge de cette synthèse des énergies artistiques délivre, avec | ||
+ | précautions, | ||
+ | films de Niblock décrivait ainsi l’harmonie sensible entre le son et l’image | ||
+ | de THIR : « Et même si la bande-son est une entité séparée, qui n’était pas | ||
+ | prévue pour un film au moment de sa composition, | ||
+ | retrouve dans les images filmées. » | ||
+ | Confrontation élémentaire avec la forêt, THIR ressemble peu aux films qui | ||
+ | traitent habituellement de la nature. La concentration stricte et méticuleuse | ||
+ | sur le grain et la texture de la géologie et de la flore capture dans le paysage des | ||
+ | monts Adirondacks des instants d’abstraction extrême — comme dans cette | ||
+ | image pratiquement indéchiffrable de la lumière vacillant sur un cours d’eau | ||
+ | filmé à travers une mince couche de glace. À travers cette œuvre, Niblock | ||
+ | remet en question les méthodes de son travail artistique et ouvre celui-ci | ||
+ | à un registre d’expérience réelle du monde, de coexistence contemplative. | ||
+ | Au-delà de l’espace de la galerie, son travail voit évoluer la relation entre l’art | ||
+ | et la vie. L’étrange titre du film, très mathématique, | ||
+ | tion : Niblock a filmé chacune des dix parties dans une zone incroyablement | ||
+ | restreinte (dans un rayon de deux mètres cinquante environ.) Ainsi, la grande | ||
+ | diversité des images du film ne relève pas du passage au crible d’une forêt | ||
+ | entière, à la recherche de ses détails les plus époustouflants, | ||
+ | observation attentive de la matière visible dans un espace limité, au sein du | ||
+ | paysage boisé de l’état de New York. Il y a dans ce travail une sensibilité qui | ||
+ | se rapproche beaucoup des vers qui débutent le poème Augures d’Innocence, | ||
+ | de William Blake : « Voir le monde en un grain de sable, un ciel en une fleur des | ||
+ | champs, retenir l’infini dans la paume des mains, et l’éternité dans une heure. » | ||
+ | Les jeux d’échelle de THIR rappellent vraiment les métonymies suggérées | ||
+ | par Blake : la spécificité visuelle de ce film paraît infinie, à l’image de la forêt | ||
+ | elle-même. Le grossissement extrême que permet le cinéma amplifie la | ||
+ | sensation d’être submergé par cette masse de détails. En projetant ses images | ||
+ | cinématographiques — par exemple celles d’une fourmi grimpant sur une | ||
+ | feuille, ou d’une goutte d’eau sur une pierre humide — sur un écran de douze | ||
+ | mètres de long, chaque image atteignant quatre mètres de large (comme | ||
+ | c’était le cas lors des projections originales, en 1972), Niblock intensifie | ||
+ | l’expérience visuelle des détails quotidiens de la nature, les détournant de | ||
+ | leur caractère familier, poussant l’imagerie à sa sublimation. | ||
+ | |||
+ | L’art comme témoignage : The Movement of people working | ||
+ | |||
+ | Entre 1973 et 1991, Niblock parcourt le globe, explorant de nombreuses | ||
+ | communautés d’A sie du Sud-Est, d’Europe de l’Est, d’A mérique du Sud et | ||
+ | d’A frique. Composants à part entière de sa pratique de cinéaste, ces voyages | ||
+ | lui permettent de rassembler des images documentant une grande variété | ||
+ | d’activités spécifiques à ces diverses enclaves culturelles parfois très recu- | ||
+ | lées. Au cours des ces voyages, Niblock maintient sa caméra fixée sur ces | ||
+ | activités humaines, qui deviennent le thème central du chapitre le plus pro- | ||
+ | lifique de sa carrière de cinéaste. Il explique que cette transition, dans son | ||
+ | travail, vers un usage rigoureux de prises de vue directes de la vie quotidienne, | ||
+ | est une conséquence de son aversion croissante envers l’« artificialité de la | ||
+ | danse ». À travers trente heures de film, Niblock compile une archive glo- | ||
+ | bale, tentaculaire, | ||
+ | collection d’images massive, dont la diversité visuelle, sociale, géographique, | ||
+ | culturelle et matérielle est quasiment insondable. La série The Movement of | ||
+ | People Working représente une anthologie visuelle presque obsessionnelle de | ||
+ | l’activité humaine. | ||
+ | C’est avec une grande simplicité qu’elle expose le travail de ces gens — lavage | ||
+ | du poisson, plantation d’ail, labour des champs, transport de pierres, ramas- | ||
+ | sage du sel — sans voix off, sans narration, sans titres, sans cadrages explicites. | ||
+ | Cette collection sans précédent d’images du labeur humain n’a pas d’orga- | ||
+ | nisation rhétorique : on n’y discerne nulle fonction idéologique ou persua- | ||
+ | sive. Elles ne documentent pas les processus de travail dans leur entier, ni ne | ||
+ | les situent dans un contexte social, mais les montrent selon une stylistique | ||
+ | uniforme. Esthétiquement, | ||
+ | tuelle incroyablement rigoureuse dépend de restrictions artistiques et de | ||
+ | règles de procédure. Sur la trentaine d’heures de tournage que comporte | ||
+ | cette collection de films, Niblock n’effectue pratiquement aucun montage. | ||
+ | Comme dans ses films plus anciens, c’est la qualité texturelle et visuelle des | ||
+ | images qui l’intéresse, | ||
+ | les différentes images à travers le montage. La majeure partie des images | ||
+ | sont laissées dans l’ordre exact des prises de vues (à l’exception d’un ou deux | ||
+ | plans sur toute la série), chaque film constituant un enregistrement linéaire | ||
+ | des activités de Niblock en tant que voyageur et témoin du spectacle du travail | ||
+ | humain. À travers toute la série, il ne touche quasiment pas à ses prises (enle- | ||
+ | vant seulement le début et la fin de chaque plan) 10 . Les durées des séquences | ||
+ | sont relativement longues, et à peu près égales. La plupart montrent des plans | ||
+ | rapprochés, | ||
+ | absents. Dans toute son œuvre, quel que soit le médium utilisé, Niblock garde | ||
+ | une sensibilité artistique de restriction, | ||
+ | Questionné sur la raison de l ’uniformité esthétique de cette série, | ||
+ | il répond ainsi : | ||
+ | — PHILL NIBLOCK | ||
+ | Pourquoi donc était-ce la règle ? | ||
+ | C’était juste une règle que je m’étais imposée. Je suivais un ensemble | ||
+ | de règles. | ||
+ | — JCK | ||
+ | Y a-t-il une raison particulière pour laquelle tu tenais à cette règle ? | ||
+ | Ou était-ce une structure arbitraire que tu voulais utiliser pour guider ton | ||
+ | travail, qui devrait parler de lui-même ? | ||
+ | — PN | ||
+ | Je crois que je tenais à cette idée ; c’est une règle qui me semblait judi- | ||
+ | cieuse. Il y en avait aussi d’autres : pas de zooms, ou alors normalement, | ||
+ | je fais un travelling dans une direction, je ne reviens pas dans la direction | ||
+ | opposée, des choses de cet ordre, pour qu’on n’aie pas l’impression de se | ||
+ | promener dans le paysage. En général, quand je fais un travelling, c’est pour | ||
+ | suivre quelque chose, et si ça repart dans l’autre sens, j’arrête de filmer. [...] | ||
+ | Lorsque je suis une activité, ce n’est pas comme si je filmais un panorama, tu | ||
+ | sais, un peu vers la gauche, puis un peu vers la droite. Je ne peux même pas | ||
+ | regarder ce genre de choses, ça me rend complètement dingue. | ||
+ | — JCK | ||
+ | — PN | ||
+ | Pourquoi donc ? | ||
+ | Ça ne va pas, ça ne va vraiment pas, un point c’est tout ! | ||
+ | [rires] | ||
+ | |||
+ | |||
+ | |||
+ | En général, chaque plan est gardé intact, tel qu’il a été filmé par Niblock, | ||
+ | qui réagit en temps réel au déroulement des évènements, | ||
+ | dans le cadre d’un documentaire. Cependant, le projet d’observation de | ||
+ | Niblock reste très différent des travaux associés aux traditions de ce genre | ||
+ | de cinéma. | ||
+ | The Movement of People Working n’évoque aucune idéologie. 11 Bien que les | ||
+ | films dépeignent parfois un travail extrêmement intense relatif à la classe | ||
+ | ouvrière, on n’y sent aucune motivation politique ou critique. Ils semblent | ||
+ | bien loin des traditions humanistes qui dominent dans le documentaire, | ||
+ | qu’on peut retrouver chez John Grierson, Robert Flaherty, Frederick Wise- | ||
+ | man ou encore Errol Morris. Les films de Niblock, quant à eux, renoncent | ||
+ | à cet héritage : ils s’en distinguent par leur structure formelle stricte, | ||
+ | leur clarté d’expression, | ||
+ | une certaine légèreté, | ||
+ | conventionnels : « généralement, | ||
+ | sont horrifiés quand ils voient ces films, [...] ils disent qu’ “on ne voit jamais | ||
+ | la personne” [...] Ils se sentent toujours obligés de montrer un visage, pour | ||
+ | montrer la personne, la personnalité [...] Les documentaires parlent des gens. | ||
+ | Mes films ne parlent pas des gens, mais des corps en mouvement. » Bien que | ||
+ | ces films ne cherchent pas à exprimer la subjectivité, | ||
+ | personnalité des individus concernés, ils concernent l’humanité, | ||
+ | qu’entité physique. En mettant au premier plan l’imprévisibilité du corps | ||
+ | humain, de sa musculature sculpturale, | ||
+ | mais en tant que données historiques, | ||
+ | giques. The Movement of People Working concerne les gens dans l’expérience | ||
+ | somatique qu’ils ont de leur travail ; ces films exposent leur physicalité | ||
+ | et se font témoins historiques de leur coexistence. L’art américain d’après- | ||
+ | guerre concerne en grande partie le geste et sa représentation. De ce point | ||
+ | de vue, cette série n’est pas sans lien avec l’Expressionisme Abstrait, aussi | ||
+ | bien qu’avec la performance. Cependant, le travail de Niblock met l’accent | ||
+ | sur un autre registre de pratique culturelle. Si ces films concernent le geste, | ||
+ | c’est selon une autre définition, | ||
+ | l’expression de la subjectivité de l’auteur, mais une caractéristique du tra- | ||
+ | vail. Il faut bien saisir ce détail, primordial dans l’œuvre de Niblock, pour | ||
+ | comprendre la spécificité de son esthétique et de sa philosophie. | ||
+ | Cette vaste collection de films implique souvent des formes de travail | ||
+ | assez archaïques — comme la calligraphie ou le rassemblement de bottes | ||
+ | de foin — et des technologies qui peuvent être étrangères aux spectateurs | ||
+ | occidentaux ou citadins. Les images sont parfois d’une incroyable violence, | ||
+ | comme celles de l’abattage et de la découpe d’animaux. Cependant, ces | ||
+ | activités ne sont jamais ponctuées d’un accent dramatique ; rien, ici, ne | ||
+ | tend à provoquer des émotions différentes en fonction des formes de tra- | ||
+ | vail. Au contraire, la sensibilité esthétique de ces œuvres se déploie à partir | ||
+ | d’une rigueur d’examen, d’une distance intentionnelle, | ||
+ | à travers une photographie incroyablement riche et esthétisée, | ||
+ | sentent un témoignage filmique bien particulier — une manière de regarder | ||
+ | les choses sans sentimentalité, | ||
+ | gens investis dans des travaux incroyablement répétitifs, | ||
+ | l’exagération, | ||
+ | ni traumatisme. Ce travail est un fait de l’existence, | ||
+ | des fourmis de THIR, un fait visuel qui n’a rien de tragique ni de comique. | ||
+ | Les travailleurs, | ||
+ | qu’ils n’attirent l’attention sur un quelconque détail de leur activité. Rien ne | ||
+ | leur semble plus conventionnel que ce qu’ils sont en train de faire. La sérialité | ||
+ | accumulative du cinéma de Niblock, l’ampleur de sa collection d’images qui | ||
+ | s’étend sur plus d’une journée de films, renforcent cette impression d’habi- | ||
+ | tude, de continuité, | ||
+ | tivité puisse évoquer le rituel, le travail physique que montrent ces films n’en | ||
+ | a pas l’aura symbolique ou culturelle. Inexorable, surchargé de potentielles | ||
+ | significations politiques, ce travail, dans toute sa beauté, révèle tout autre | ||
+ | chose. Ces films concernent le corps humain et les liens qui l’unissent secrè- | ||
+ | tement au paysage, à la nature, au commerce, à la société. Pourtant, ce vaste | ||
+ | champ de références potentielles est ici compressé dans une accumulation | ||
+ | concrète de faits visuels. À la manière des photographies des modernistes | ||
+ | américains que sont Walker Evans, Ben Shahn ou Ralph Steiner, cette série | ||
+ | documente des données sociales et historiques, | ||
+ | lité à travers la répétition formelle. Toutefois, en détournant son attention | ||
+ | du visage humain, Niblock dévoile une facette fort éloignée des accents | ||
+ | politiques de la photographie et du cinéma documentaires américains. | ||
+ | La franche littéralité de ces œuvres en suscite une appréhension bien | ||
+ | différente. | ||
+ | Chaque plan de la série révèle le cinétisme de l’action physique, des corps | ||
+ | humains en mouvement, qui soulèvent, cueillent, découpent, remuent, | ||
+ | nettoient... De l’écorce d’arbre qu’on épluche aux arêtes de poisson qu’on | ||
+ | retire, les actions, les gestes, les efforts musculaires se ressemblent souvent, | ||
+ | même si le résultat des divers travaux peut être remarquablement différent. | ||
+ | Chaque action se répète obsessionnellement, | ||
+ | de la structure des films peut constituer une analogie visuelle à la sévérité | ||
+ | formelle des pièces musicales de Niblock. Si ces dernières ne sont pas litté- | ||
+ | ralement répétitives (puisque qu’elles ne relèvent pas de motifs dinstincts, | ||
+ | de phrases répétées), | ||
+ | développement dramatiques. On pourrait donc qualifier leur structure | ||
+ | d’isotrope. Ceci, évidemment, | ||
+ | cinéma — qu’il soit commercial ou non — le son et l’image sont coordonnés | ||
+ | pour susciter intentionnellement des émotions spécifiques, | ||
+ | mas bien définis : en insistant sur les identifications affectives, symboliques | ||
+ | et dramatiques qui sont déjà évidentes à travers la narration, les spectateurs / | ||
+ | auditeurs sont amenés à ressentir des effets déterminés à des moments pré- | ||
+ | cis. Avec ses combinaisons atypiques de son et d’image, Niblock renie cette | ||
+ | approche conventionnelle : « ce qui m’intéresse a toujours été à l’opposé de ces | ||
+ | films qui vous font pleurer au bon moment. Anti-narratif, | ||
+ | Son objectif est également anti-dramatique : « Il n’y a pas de développement. | ||
+ | C’est une règle irréfutable, | ||
+ | loppement se retrouve beaucoup dans la musique et l’art minimalistes ; The | ||
+ | Movement of People Working représente ainsi une application inhabituelle | ||
+ | de cette esthétique, | ||
+ | Dans sa manière de combiner le son et l ’ image, Niblock trahit | ||
+ | l’indéniable influence du compositeur John Cage et du chorégraphe Merce | ||
+ | Cunningham. Dans leurs collaborations, | ||
+ | vaient des évênements multimédia qui, tout en présentant simultanément | ||
+ | leurs formes d’art respectives, | ||
+ | la période d’après-guerre, | ||
+ | seurs et cinéastes américains de l’avant-garde à marcher sur leurs traces. | ||
+ | Niblock ne déroge pas à la règle. Interrogé sur cette influence, il répond que | ||
+ | l’abandon de ce modèle serait « blasphématoire, | ||
+ | Cage-Cunningham. » Leurs collaborations intermédia forment donc, pour | ||
+ | Niblock, la ligne d’horizon de toute expérimentation artistique sérieuse de | ||
+ | la deuxième moitié du XX e siècle. | ||
+ | La sensibilité visuelle de Niblock est également marquée par l’influence | ||
+ | du photographe Ralph Steiner. Cependant, les deux artistes on une attitude | ||
+ | tout à fait différente envers la manière d’utiliser la musique dans les films. | ||
+ | Plus connu pour son travail de photographie, | ||
+ | films non fictifs, au style impressioniste, | ||
+ | City (1939). S’étant montrés leurs films, Niblock et Steiner comprendront | ||
+ | que leurs conceptions de l’interaction entre musique et images sont fon- | ||
+ | damentalement incompatibles. Bien que tous deux produisent des œuvres | ||
+ | marquées par une volonté d’observation, | ||
+ | coordination entre son et image, qu’il qualifiera de « Mickey Mouse » car | ||
+ | elle lui évoque les chorégraphies de dessins animés. 13 Cela lui semble un | ||
+ | piètre usage des potentialités multiples de la musique. Sa propre approche du | ||
+ | cinéma offre une expérience perceptive, sensorielle, | ||
+ | champs sensitifs peuvent se superposer dans le temps et dans l’espace, sans | ||
+ | coordination explicite. On se doit d’insister sur la radicalité de cette idée. | ||
+ | C’est d’une manière quelque peu facétieuse, | ||
+ | Cunningham, que Niblock décrit sa vision de la correspondance entre son et | ||
+ | image comme basée sur une « non-relation ». Cette stratégie artistique remet | ||
+ | directement en question la logique qui domine dans la pratique du cinéma | ||
+ | depuis les premières expérimentations synesthésiques avec ce médium. | ||
+ | Concevoir un cinéma sonore dans lequel les éléments visuels et sonores | ||
+ | n’ont pas de correspondance dramatique ou émotionnelle, | ||
+ | remise en question fondamentale de son évolution historique, que Niblock | ||
+ | accomplit à travers ses méthodes singulières de présentation des œuvres. | ||
+ | Niblock ne montre pas ses films selon des conditions scéniques convention- | ||
+ | nelles ; il préfère offrir au spectateur des manières multiples, démocratiques, | ||
+ | de regarder les images, en montrant plusieurs films ou vidéos simultanément, | ||
+ | sur des écrans de tailles diverses, disposés dans tout l’espace d’exposition. Lors | ||
+ | de ses concerts pour le solstice d’hiver, qui ont lieu tous les ans à New York, à | ||
+ | l’Experimental Intermedia, les stimuli audio-visuels s’entrecroisent dans tout | ||
+ | l’espace. 15 Des films 16 mm ou leurs transferts numériques sont projetés sur dif- | ||
+ | férents écrans, tandis que deux ou trois moniteurs montrent des projets vidéo | ||
+ | plus récents. Ces écrans sont dispersés à travers l’espace de telle manière qu’il est | ||
+ | impossible de tous les regarder simultanément. En conséquence, | ||
+ | est amené à choisir lequel, parmis toute cette gamme de stimuli, va retenir son | ||
+ | attention. Durant ces projections, | ||
+ | ments de ses propres compositions minimalistes, | ||
+ | un ensemble de haut-parleurs disposés dans toute la salle. Niblock élabore ainsi | ||
+ | pour ses œuvres un environnement spécifique d’écoute et de visionnage, qui | ||
+ | les circonscrit dans une atmosphère qui permet au spectateur une perception | ||
+ | qui n’est dirigée ni par des séquences temporelles, | ||
+ | audio-visuelles. | ||
+ | Dans un e-mail adressé à l’auteur | ||
+ | le 27 mars 2011, Niblock explique plus | ||
+ | précisément sa relation avec Steiner: | ||
+ | « Ralph Steiner a été pour moi | ||
+ | un véritable mentor, à une période | ||
+ | lointaine. Je suis allé le voir un jour | ||
+ | pour m’inscrire à un séminaire, | ||
+ | un séminaire plutôt informel, personnel. | ||
+ | Il habitait non loin de chez moi à cette | ||
+ | époque, sur la 32 e Rue, et moi sur la 33 e , | ||
+ | à l’angle de la 2 e Avenue. Le séminaire | ||
+ | se tenait dans une église, sur Lexington | ||
+ | Avenue je crois. Bien plus tard, je suis | ||
+ | allé voir Ralph dans le Vermont ; il avait | ||
+ | alors quitté New York. Je lui ai montré | ||
+ | des films accompagnés de ma musique | ||
+ | (en 16 m m). Il a détesté ma musique. | ||
+ | Il m’a montré les films sur lesquels | ||
+ | il travaillait à la fin de sa vie, | ||
+ | avec de la musique de Richard Peaslee. | ||
+ | J’ai dit que le musique faisait « Mickey | ||
+ | Mouse ». Il m’a jeté dehors. Il était | ||
+ | vraiment fâché. Il est assez | ||
+ | caractériel. » | ||
+ | |||
+ | 16 Dans ses DVD, Niblock accompagne | ||
+ | ses films de bandes-son déterminées ; | ||
+ | ceci reste néanmoins spécifique à cette | ||
+ | forme de distribution com merciale. | ||
+ | Niblock insiste sur le fait qu’il vaut | ||
+ | mieux faire l’expérience de ces œuvres | ||
+ | dans les conditions interactives | ||
+ | et ouvertes de ses concerts-projections, | ||
+ | qui s’étalent sur plusieurs heures, | ||
+ | com me lors de ses concerts annuels pour | ||
+ | le solstice d’hiver à l’Experimental Intermedia. | ||
+ | La musique n’est pas conçue pour correspondre aux images, ni à un film en | ||
+ | particulier. Lorsque Niblock présente sa musique et ses films ensemble, un irré- | ||
+ | futable élément de hasard entre en jeu dans la correspondance — ou l’impression | ||
+ | de correspondance — entre les différents média. Parmi les multiples écrans et | ||
+ | sources sonores, l’émergence de telles corrélations est inévitable : ce peuvent être | ||
+ | des ressemblances graphiques entre deux images, sur des écrans disposés face à | ||
+ | face, ou un changement dans la texture sonore, fortuitement synchronisé à une | ||
+ | transition visuelle, comme si le son et l’image étaient régis par des superpositions. | ||
+ | De telles correspondances ne sont pourtant pas intentionnelles 16 , le but étant | ||
+ | au contraire d’étendre ces éléments énigmatiques à un registre d’expérience | ||
+ | perceptive. À travers cette expérience, | ||
+ | forme de participation phénoménologique, | ||
+ | tagent une relation paradoxale de simultanéité et d’indépendance. | ||
+ | Niblock explique ainsi les objectifs de cette stratégie de présentation : | ||
+ | « normalement, | ||
+ | possible. Quand il n’y en a qu’un, je déteste ça, parce qu’à ce moment-là, on | ||
+ | regarde vraiment un documentaire. C’est seulement avec deux ou trois films | ||
+ | projetés en même temps qu’on se voit obligé de faire des choix. Il y en a aussi | ||
+ | à faire avec la musique, et c’est là que ça devient intéressant. » Durant toute | ||
+ | sa carrière de cinéaste, Niblock soumettra ses films à un contrôle rigoureux | ||
+ | des paramètres visuels, limitant à l’extrême le montage et les mouvements | ||
+ | de caméra, ainsi que le développement dramatique. Pourtant, les conditions | ||
+ | d’exposition de ces œuvres permettent de les ouvrir à toutes sortes d’interac- | ||
+ | tions perceptives, | ||
+ | de la rigueur esthétique qu’elles pourraient évoquer. | ||
+ | |||
+ | Epilogue : Vidéo, installation – Travaux récents relevant de l’observation. | ||
+ | |||
+ | Dans les années 1990, Niblock opère une transition du film 16 mm | ||
+ | à la vidéo. Il conclut The Movement of People Working en 1991, mais continue, | ||
+ | dans ce nouveau format, à produire des œuvres rigoureusement centrées sur | ||
+ | l’observation. (Les images de The Movement of People Working ont presque entiè- | ||
+ | rement été tournées en 16 mm, à l’exception de quelques unes des dernières | ||
+ | sessions qui utilisent la vidéo, en Roumanie ou à Sumatra par exemple.) Parmi | ||
+ | ces projets plus récents, le plus remarquable est la série des Anecdotes from Child- | ||
+ | hood, un cycle comprenant quatre heures de monologues vidéo dans lesquels | ||
+ | des sujets racontent à l’écran des expériences de leur enfance, en longs | ||
+ | monologues ininterrompus. | ||
+ | Visuellement, | ||
+ | d’hommes et de femmes d’âges et de nationalités divers, qui racontent libre- | ||
+ | ment leurs plus anciens souvenirs. Les mouvements de caméra sont tota- | ||
+ | lement absents, et hors-champ, on n’entend presque aucun bruit ; durant | ||
+ | ces longs monologues bruts, que ce soit pendant dix ou vingt minutes, | ||
+ | l’attention du spectateur ne peut se porter sur rien d’autre que sur les visages | ||
+ | des personnages en train de parler. La plupart d’entre eux, dont une Chinoise, | ||
+ | un Indien et une jeune Jamaïcaine, | ||
+ | Il en résulte une sorte de poème sonore à la texture riche en inflections | ||
+ | et intonations diverses. Après avoir écouté quelques temps ces récits, | ||
+ | leur sérialité et leur répétition presque compulsive commencent à déplacer l’at- | ||
+ | tention sur la musique et la texture des voix, et non plus sur le contenu des his- | ||
+ | toires qu’ils racontent. Dans Light Patterns, un projet multimédia réalisé entre | ||
+ | 1986 et 1992, Niblock propose une série de diapositives très contrastées d’images | ||
+ | de la nature — qui, par leur texture et leur tonalité, peuvent rappeller THIR — en | ||
+ | utilisant, comme bande-son, des monologues tirés des Anecdotes. En situation | ||
+ | d’exposition, | ||
+ | très lents, de sorte que les images s’entremêlent continuellement les unes dans | ||
+ | les autres, d’une manière extrêmement progressive. Selon Niblock, la relation | ||
+ | conflictuelle entre le son et l’image, dans ce travail, résulte en « une cacophonie | ||
+ | bizarre, car il y a toutes ces images, qui sont vraiment très belles, et puis ces | ||
+ | trois personnes qui parlent, sans qu’on puisse comprendre ce qu’elles disent ». | ||
+ | Cette réutilisation de la bande-son des Anecdotes prouve l’importance de cette | ||
+ | série au sein du travail de Niblock, en tant qu’œuvres d’art sonore, la texture | ||
+ | des diverses inflexions de la voix humaine allant au-delà de l’intérêt des récits. | ||
+ | Durant toute la série des Anecdotes, la caméra inflexible maintient | ||
+ | une position d’observateur, | ||
+ | une position fixe, obsessionnelle, | ||
+ | l’attention, | ||
+ | peu son intérêt pour le mouvement, la musculature et la physicalité du tra- | ||
+ | vail humain, vers l’espace subjectif de la mémoire individuelle. Toutefois, | ||
+ | ce travail est souvent bien moins dramatique que ce à quoi on pourrait s’at- | ||
+ | tendre. La caméra instaure une atmosphère de confessionnal, | ||
+ | chaque sujet à la fois ordinaire et particulier. En matière de sonorités, | ||
+ | la texture est également souvent monotone, uniforme. Niblock explique : | ||
+ | « je leur ai juste dit d’essayer de se souvenir des histoires les plus anciennes aux- | ||
+ | quelles ils puissent remonter, et de parler pendant vingt minutes. Et ce qui en res- | ||
+ | sort est vraiment fantastique, | ||
+ | À travers ces témoignages filmiques dépouillés, | ||
+ | gistre le processus par lequel ces gens revivent, reconstruisent et recréent | ||
+ | leurs propres souvenirs afin de partager leur expérience avec d’autres, | ||
+ | sans commentaire, | ||
+ | d’auto-psychanalyse présent dans ce travail mène tour à tour à des lieux com- | ||
+ | muns et à des passages plus émouvants. Parmi les quatre heures d’histoires | ||
+ | racontées à la première personne, émergent des moments remarquables. | ||
+ | Anecdotes #1 commence avec une Chinoise, probablement âgée d’une | ||
+ | trentaine d’années. Ses cheveux raides et son maquillage rose jurent avec | ||
+ | le fond gris devant lequel elle est assise. Son visage, cadré du haut de la tête | ||
+ | au menton, trahit un mélange d’affabilité et de complexité psychologique. | ||
+ | En dépit de son accent chinois, il est clair que son anglais est riche et poétique. | ||
+ | Elle commence à raconter ses souvenirs avec la volonté de se replonger dans | ||
+ | des moments émotionnellement complexes. Lorsqu’elle décrit comment sa | ||
+ | mère la frappait avec une tige en bambou, on sent que son sang-froid com- | ||
+ | mence à s’effriter. Pourtant, malgré la charge émotionnelle de ses histoires, | ||
+ | elle reste assez réservée en délivrant ses récits, une attitude qu’on retrouve | ||
+ | chez tous les sujets de la série des Anecdotes. | ||
+ | Fixant implacablement la caméra, la jeune femme explique que | ||
+ | « de manière générale, les souvenirs physiques sont liés à la pauvreté, ou a des | ||
+ | catastrophes — oui, la pauvreté et les catastrophes. » Puis elle boit un peu d’eau | ||
+ | et on entend au loin, dans la rue, une alarme de voiture, fragment du paysage | ||
+ | sonore ambiant. En racontant son histoire, elle adopte la voix d’un narrateur | ||
+ | à la troisième personne qui examine ses propres expériences, | ||
+ | une intelligence déroutante, | ||
+ | une longue pause, elle commence à raconter des souvenirs frappants de | ||
+ | « confrontations avec la mort ». L’histoire la plus poignante de sa vie de petite | ||
+ | fille est sans doute celle de l’un de ses voisins, un homme à la famille nom- | ||
+ | breuse « écrasé par les soucis financiers». Un jour, il entra calmement chez eux | ||
+ | et s’assit modestement sur une chaise en buvant de la limonade. Bizarrement, | ||
+ | il ne dit pas un mot pendant une heure, ne proposa à personne de boire avec | ||
+ | lui. Cela paraissait inhabituel à la petite fille. Puis, tout à coup, il s’effondra par | ||
+ | terre, vomissant de la bile blanche, « son corps contracté comme une crevette. » | ||
+ | Avec un certain sens du dénouement dramatique, elle attend la fin de l’his- | ||
+ | toire pour révéler l’explication de la situation. Elle décrit alors comment | ||
+ | elle vit son père disparaître à l’horizon sur son vélo, emmenant le corps du | ||
+ | voisin sur le guidon. C’était la dernière fois qu’elle voyait cet homme, qui, | ||
+ | selon ses propres mots, « s’était suicidé devant mon père et moi. » Puis elle | ||
+ | déplace le registre de la narration et se lance dans une description mêlant | ||
+ | détails concrets et abstractions : décrivant toujours son voisin, elle dit qu’il | ||
+ | « portait une chemise blanche, et le salon avait des murs blancs, et dehors, | ||
+ | la lumière du soleil était éclatante. Dans ma mémoire, c’est aussi une dimen- | ||
+ | sion de la mort : le noir et blanc. Je n’en ai encore jamais vue en couleur... à part | ||
+ | peut-être au théâtre. » Après cette réflexion sur la mémoire et la perception, | ||
+ | la jeune femme fait une longue pause, comme pour retenir ses émotions. | ||
+ | Elle se contient nerveusement en essayant de garder tant bien que mal le fil | ||
+ | de ses souvenirs d’enfance désordonnés. | ||
+ | Intelligente, | ||
+ | pour n’importe quel entretien filmé. (Ses histoires sont les plus poignantes de | ||
+ | ce projet vidéo ; il n’est pas surprenant qu’elle soit la seule à apparaître deux | ||
+ | fois dans la série.) Cependant, on comprend vite que Niblock ne cherche | ||
+ | pas à susciter une excitation dramatique ou une immersion dans le récit. | ||
+ | Au contraire, cette douzaine d’entretiens produisent collectivement, | ||
+ | accumulation, | ||
+ | dans la monotonie de la narration, qui n’est pas si éloignée de l’impression | ||
+ | suscitée par les films de la série The Movement of People Working. Ces vidéos | ||
+ | ont la même uniformité de style, le même nivellement dramatique (pour la | ||
+ | plupart), et offrent pourtant une texture incroyablement riche, à travers leur | ||
+ | diversité culturelle et leurs détails humains. Il y a ici une analogie latente : | ||
+ | les visuels de The Movement of People Working fournissent une vaste archive | ||
+ | d’images qui mettent au premier plan la texture du corps humain, ses dif- | ||
+ | férents gestes, sa force, sa portée physique ; la bande-son des Anecdotes en | ||
+ | constitue une sorte de contrepartie audio, enregistrant les motifs sonores de | ||
+ | divers modes de langage, motifs d’inflexion, | ||
+ | que tout une gamme de timbres, hauteurs et textures de la voix humaine. | ||
+ | Bien que les entretiens se déroulent tous dans la même langue, ils déploient | ||
+ | toute une série d’accents — sud-africain, | ||
+ | certains narrateurs n’ayant pas l’anglais pour langue maternelle, qu’ils soient | ||
+ | chinois, hollandais ou indien. De manière très concrète, c’est la musique | ||
+ | de ces voix, leurs nuances et leurs modulations subtiles qui procurent ici | ||
+ | l’impression d’immersion esthétique. | ||
+ | Dans ce travail, le traitement de l’affect est inhabituel. L’uniformité et | ||
+ | l’homogénéité de ces monologues leur confèrent une esthétique minimaliste | ||
+ | de froide observation. Cette sorte d’inertie émane pourtant de prétextes | ||
+ | représentatifs et philosophiques qui sont bien distincts des autres films de | ||
+ | Niblock. Prises de vue de vingt minutes, caméra fixe sur un trépied : leur | ||
+ | structure arbitraire donne à ces films une certaine austérité, | ||
+ | révèlent un aspect de l’expérience humaine inévitable, | ||
+ | de tous ses autres travaux de manière chirurgicale. La série des Anecdotes | ||
+ | from Childhood concerne la personnalité humaine telle que la transmet le | ||
+ | corps humain, par le grain et la texture de ces voix hétéroclites, | ||
+ | incompréhensibles. | ||
+ | Malgré la cohérence formelle de cette série, la diversité des sujets qui | ||
+ | apparaissent à l’écran est frappante — tout comme dans The Movement | ||
+ | of People Working. La structure systématique, | ||
+ | de minimiser les drames personnels de ces souvenirs racontés à la première | ||
+ | personne, y éliminant toute sentimentalité. En dépit de la froideur d’ob- | ||
+ | servation qui caractérise la sensibilité esthétique de ces films, une forme | ||
+ | d’engagement affectif est mise en jeu. Les œuvres les plus abouties de Niblock | ||
+ | réunissent toutes ce double cheminement philosophique : s’il place les spec- | ||
+ | tateurs dans un espace conceptuel, à l’esthétique rigoureuse, c’est aussi | ||
+ | pour leur rappeller, peut-être paradoxalement, | ||
+ | dans lequel ils vivent, travaillent, | ||
+ | l’expressivité plastique du cinéma abstrait et les impératifs humanistes | ||
+ | du documentaire conventionnel : le cinéma de Niblock se construit dans | ||
+ | un espace esthétique différent, bien éloigné de ces deux traditions. Dans | ||
+ | le domaine qui est le sien, Niblock inscrit ses films et ses vidéos dans une | ||
+ | cosmologie bien particulière, | ||
+ | sentation et visées philosophiques, | ||
+ | à la limitation de l’affect et à la sensualité de l’observation. | ||