compte_rendu (français) / report (english)
CHAOS MICROMEDIA au festival PIKSEL (2006)
Un des intervenants (membre d'un laboratoire sur l'Intelligence Artificielle) invité au séminaire XXXX à Piksel (Bergen) autour d'une réflexion sur les rapports entre software et hardware s'inquiétait de l'avenir du genre humain du fait de la possibilité prochaine de remplacer des parties (dégradées ou malades) du cerveau humain par des dispositifs électroniques.
Il s'inquiétait du possible devenir cyborg du genre humain.
En parallèle de ce séminaire, dans les tréfonds d'un Bunker enfoui dans la roche humide , nous étions plusieurs geeks, nerds, freaks et autres bizarreries à explorer, avec une tout autre approche, les potentialités autres d'un tel devenir. Aux côtés des hackers qui pianotaient sur leurs claviers d'ordinateurs, nous menions un workshop intitulé Choas micromedia project.
Si du point de vue scientifique, dans la droite ligne de la tradition cybernétique, la perspective cyborg, fruit de la fusion soldat/avion au cours de la seconde guerre mondiale, pose de sérieux problèmes de pouvoir et de contrôle sur les corps et les esprits des individus, d'un autre côté, adoptant un point de vue qui serait plutôt cyberpunk, il s'agirait de parier sur une tout autre hypothèse consistant à poser que le détournement des dispositifs arraisonnants des technologies de l'information et de la communication pourrait générer de nouvelles potentialités d'être au monde et de vivre ensemble.
Chaos micromedia project : on pose le détournement et l'expérimentation comme procédures premières à la mise en acte d'un potentiel. Le dispositif n'est plus exclusivement perçu comme vecteur d'un pouvoir (ce qu'il reste aussi, d'où l'enjeu du détournement), mais comme activateur de potentialités (puissances), générateur de virtualités processuelles (distincte de la virtualité idéale et statique de l'internet).
Pendant 4 jours, il s'agissait de bricoler des micro-dispositifs : émetteur radio, émetteur TV, microphone, oscillateur, amplificateur, table de mixage, controleur…
Armés d'un fer à souder, chacun, assis autour de la table, se transformait en magicien, manipulateur de forces.
La frontière entre forces physiques et forces mentales, frontière qui comme le rappelait un des intervenants du séminaire était au fondement de l'édifice scientifique moderne, se trouvait constamment travaillée, traversée, mise en question ou littéralement abolie.
Au 2ème jour du workshop, l'activation des micro-émetteurs radio et TV a généré une circulation des forces à l'intérieur du Bunker, la spectralité des ondes, des sons et des images se déployant dans les salles et couloirs. La dissémination et prolifération des radios et TV réceptrices des ondes émises, les jeux de relais entre émetteurs radio et TV, les feedbacks et autres combinaisons réagençaient l'espace en continu. La forme stroboscopique de l'image TV générée par le feedback d'une micro-caméra branchée sur un micro-émetteur, ainsi que les sons de dauphins retransformés par un automate numérique puis diffusés sur les multiples récepteurs radios, nous rappelaient la présence fantomatique de ces corps invisibles. Devenir spectral des ondes. Devenir puissance des corps.
Le 3ème jour, la greffe des dispositifs s'est transférée sur nos corps. De dispositifs activateurs d'une spatialité massive et figée (le bunker), ils ont mutés en prothèses d'intervention nomade.
Il s'est agit tout simplement de faire un tour en ville (aller à l'hôtel déposer des sacs, faire un détour par l'espace d'expo puis aller manger dans les locaux de l'école d'art).
5 personnes, chacune munie d'un dispositif singulier, choisi au hasard de ses bricolages et expérimentations :
Julien : oscillateur + récepteur radio → génération de fréquences modulables + jeu de feedback
Dispositif autonome, autonomisable du corps, automate indéterminé déposé en certains endroits, au hasard du parcours, pour interagir avec l'environnement.
Jörg : oscillateur réagissant à la lumière (capteur lumière) + micro + radio. Manipulation du dispositif comme d'un instrument de musique.
Christian : greffe sur le bras gauche d'une extension oscillateur-capteur lumière + radio. Le dispositif comme extension organique du corps et de son interaction avec l'environnement.
Esther : haut-parleur accroché à la hanche gauche + micro dans la bouche → chant et glossolalies, interviews, amplifations de la voix…
Sophie : micro à la bouche relié à un émetteur radio + radio portable = deuxième bouche (mobile)
La troupe s'embarque et de nouveaux agencements se composent.
Sophie donne sa radio (sa deuxième bouche) à Esther, qui fait relais de l'émission via son haut-parleur. Une nouvelle unité émerge, un croisement de Sophie et d'Esther, chacune traversée par l'autre, le dispositif opérant des coupes transversales dans leurs corps. Nous assistons à l'apparition d'un agencement trans-individuel. Sophie parle à travers Ether. Esther devient l'extension de Sophie. Puis Jorg se greffe aussi sur le dispositif de Sophie et d'Esther. Jorg reçoit la fréquence émise par Sophie tout en la triturant avec son oscillateur, puis il pose sa radio sur le micro d'Esther dont le haut-parleur rediffuse le mixage de la voix de Sophie + de sa captation triturée par Jorg. L'agencement collectif se recombine sans cesse au long du parcours, composant de nouvelles configurations selon les greffes et connexions activées. Puis Christian se branche sur une vitrine de magasin, dont l'alternance des rubans autocollants noir/blanc agissent sur le capteur lumière de l'oscillateur greffé à son bras. Plus loin, Julien pose son automate indéterminé au milieu d'une rue fréquentée, circule autour, le laisse vivre quelque temps, interagir avec les passants, puis le déplace à nouveau, faisant dévier les piétons de leur ligne de marche, comme s'ils contournaient une zone dangereuse, celle de l'émission des ondes. Alors Esther croise un piéton, un intervenant du festival. Elle lui propose de faire une interview pour la micro-radio entre temps baptisée RadioSo. La radio est ultra localisée, lui explique-t-elle : entre elle et lui. La radio est entendue comme amplification d'une relation sociale.
Ce qui se profile alors à l'horizon d'un tel devenir cyborg, ce n'est plus seulement le contrôle par un pouvoir anonyme et invisible, mais les micro-dispositifs détournés comme vecteurs de recombinaisons ou de réagencements trans-individuels, opérateurs de transferts et de branchements entre corps multiples, démultipliés. Les uns à travers les autres.
S'engage donc : une potentialisation des niveaux et formes d'interaction entre êtres vivants, mais aussi entre êtres vivants et êtres “morts”, qu'ils soient de nature spectrale ou minérale, une dé-hiérarchisation des rapports sociaux et une dé-atomisation des personnes.
Alors peut-être que la “fin de l'Homme” annoncée par Foucault, pourrait devenir un motif de réjouissance.
(10 octobre 2006)
par APO33
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