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Le GOO est un projet artistique initié par la CIA réunissant des artistes membres d’APO33 et des artistes invités autour de la création d’un dispositif numérique de production musical et sonore collectif via le réseau internet. Cette expérience se distingue nettement d’une simple intégration de moyens informatiques dans un orchestre. Nous abordons en effet l’orchestre en terme de système de coopération de plusieurs éléments dans un ensemble sonore commun. Chacun des artistes qui participent à ce projet utilisent l’informatique d’une façon très particulière dans leur activité personnelle. Dans ce projet nous construisons ensemble une collaboration entre ces différentes approches. Les artistes participant au projet : _Sophie Gosselin _Jean-Philippe Roux/CS3 _Jean-François Rolez _Emmanuel Leduc _Julien Ottavi
Ce projet s'est formulé dans le cadre des recherches du collectif APO33. Ce projet a été présenté pour la première fois le vendredi 15 novembre 2002 au Musée des Beaux-Arts de Nantes. Six artistes travaillent ensemble à la présentation au public de cet “orchestre”. “Le Grand Orchestre d'Ordinateurs” : tout est déjà en germe dans cette expression, plus précisément dans les incohérences qu'elle annonce. Il suffit de rajouter que cet intitulé est présenté à six artistes qui vont l'examiner dans tous les sens, le décomposer, le démonter, le décortiquer, afin d'y trouver des interstices par lesquels ils vont pouvoir glisser leur approche de la création. Ce projet repose sur une double impossibilité : celle de l'orchestre et une autre, relative à la place actuelle de l'ordinateur, assemblées ici d'une façon forcée, exacerbée. Les artistes n'interviennent pas en tant que spécialistes de l'orchestre mais en tant que pratiquants d'une activité sonore expérimentale, pour leur capacité à développer quelque chose en terrain non acquis. La dimension expérimentale d'un projet ne se joue plus ici sur un terrain prévu pour cela, autrement dit sur une scène de musique expérimentale, mais dans le croisement improbable et apparemment incohérent de deux données contradictoires. Elle réside essentiellement dans l'issue incertaine du projet.
recherche d'un méta-orchestre
Deux issues possibles : l'une s'apparentant à un camouflage, consistant à accepter de juxtaposer les nébuleuses de conventions relatives à chacune des impossibilités citées plus haut (par exemple former un orchestre d'instrumentistes qui utilisent chacun leur ordinateur comme un instrument de musique) autrement dit, mimer l'orchestre. L'autre consistant à arriver de façon nouvelle, donc un peu brutale, au milieu de chacun de ces domaines que sont l'orchestre et l'ordinateur pour les faire s'interroger l'un l'autre. Mais revenons de plus près sur la nature de l'incohérence du projet, sur la rencontre impossible de l'orchestre et de l'ordinateur. L'orchestre est, actuellement, majoritairement identifié en termes folkloriques, et presque autant par les musiciens que par le public. Avec son image très formalisée, il se révèle dans les projets de création expérimentale aussi agile qu'un mammouth. Les créateurs agissant dans le champ de la musique trouvent ailleurs des outils beaucoup plus souples (via les musiques concrètes, électroacoustiques et autres, acoustiques notamment). Saturé de conventions et de formalismes, l'orchestre peut sembler dépassé à bien des créateurs. De par la présence de l'électronique dans le travail du son il n'est en tout cas plus un passage obligé pour le compositeur qui souhaite voir ses oeuvres jouées, même pour celles demandant les plus grosses masses sonores. L'ordinateur se présente actuellement aux non-informaticiens, c'est-à-dire au public, sous une forme bien particulière, non-informatique en soi, qui est le multimédia. Il est le véhicule sur lequel les principaux médias de notre monde actuel circulent : texte, son, image fixe et animée. Il est aussi l'outil sur lequel est généré et fabriqué une grande part de ce qui se donne à lire, voir et entendre sur ces médias. Il tend alors à apparaître comme un centre auto-suffisant de création. Le créateur ayant un ordinateur à sa disposition se trouve en situation de produire tout ce qui peut apparaître sur le multimédia. Sur le plan de la création musicale, il se retrouve ainsi aux commandes d'un orchestre virtuel, d'une image d'orchestre, au moyen d'énormes réservoirs de sons dont chacun d'entre-eux est disposable sur des partitions géantes pouvant superposer un nombre impressionnant de lignes timbrales différentes. L'ordinateur prolonge en cela une vieille tentative de créer le super-instrument contenant tous les autres, tentative qui se concrétisa antérieurement dans l'orgue et dans le développement de l'orchestre symphonique. En ce sens, l'ordinateur ne serait qu'une version moderne de l'orchestre traditionnel. En quoi le musicien aurait-il alors besoin de se mettre en situation de collectivité, avec les contraintes que cela comporte, conflits entre avis esthétiques divergents alors qu'il dispose d'une armée d'instruments qui lui répond au doigt et à l'œil ? C’est que l’ordinateur est justement plus qu’un simple instrument. Il peut en effet être utilisé comme un instrument traditionnel, mais c’est alors passer à côté des problèmes et possibilités qu’il ouvre. Une des spécificité de l’ordinateur est que son utilisation n’est pas premièrement musicale, contrairement aux autres instruments de musique. L’ordinateur n’est qu’un avatar de l’informatique. Or l’informatique a d’abord été développée par l’armée pour des finalités de communication et de contrôle. Elle a ensuite été adoptée par un système économique lui aussi mettant en œuvre des stratégies de guerre et de conquête. Aujourd’hui, l’outil informatique se généralise, dans les pays les plus riches, à tous les niveaux de l’action humaine, notamment au niveau de la communication, conduisant de ce fait à exclure toute une partie de l’humanité d’un certain champ de la communication, processus déjà largement entamé par les dispositifs médiatiques. Grand Orchestre d’Ordinateurs : ce projet est un défi politique. Quel est le sens d’une pratique artistique qui n’inclus pas dans son geste une réflexion sur les outils qu’elle manipule ? La question n’est donc pas celle de l’ordinateur mais des dispositifs informatiques. Comment se réapproprier collectivement les dispositifs informatiques ? Comment ne pas les laisser nous dominer ?
Le GOO : proposition d’une poétique de l’informatique
Le GOO : proposition d’une poétique de l’informatique, d’une réappropriation symbolique de l’informatique qui reconfigure le dispositif de représentation qu’elle produit, c’est-à-dire qui détourne le dispositif de sa fonction de contrôle. Il s’agit de transformer le dispositif en instrument d’intervention et d’écriture poétique. Dans ce renversement, le collectif a une fonction centrale, nécessaire. Un artiste seul ne peut détourner le dispositif : soit il se laisse prendre par l'illusion de la maîtrise et utilise l'ordinateur comme un instrument traditionnel, soit il produit une forme d'installation qui institue l'autonomie du dispositif et l'impossibilité d'une intervention sur le dispositif postérieure à sa production : le dispositif échappe aux mains du créateur. Le spectateur d'une installation devient le reflet inverse du créateur emprisonné dans le dispositif qu'il a lui-même créé et sur lequel il ne peut plus agir. Seule une multiplicité d'individus peut saisir le dispositif, s'y infiltrer comme un élément à part entière et travailler depuis ses vides ou ses failles à le détourner, à lui donner une nouvelle fonction. Les membres du GOO travaillent à produire du son en réseau (via internet) : ils s’échangent des fichiers son qu’ils retransforment en direct. La circulation interne des sons produit une forme sonore particulière, spécifiquement liée au dispositif, encore en découverte par les artistes du GOO. La forme sonore correspond à la forme réseau, elle joue sur la variation des répétitions dans différents points de l’espace collectif.
Le GOO au delà de l'orchestre
Le GOO se révèle être tout à fait autre chose qu’un orchestre parce qu’il n’a pas de finalité de production pré-déterminée. Le GOO est un laboratoire d’expérimentation ouvert : c’est un laboratoire qui évolue à chaque intervention. Chaque intervention est une mise en situation du dispositif qui l’amène à expérimenter des formes différentes (par exemple, la mise en réseau avec des artistes à distance pendant la durée de l’intervention en public, ces artistes à distance étant les uniques sources productrices de son que les membres du GOO reprennent et retransforment). Le GOO comme laboratoire déploie l’expérimentation dans les deux sens de la chaîne de production sonore : celui de la production sonore en réseau et celui des dispositifs de diffusion du son. Deux questions se posaient : comme créer un espace, un point d’ouverture pour le public qui ne participe pas directement à la production sonore en réseau ? comment se réapproprier et reconfigurer, à travers l’outil technique de la diffusion, les espaces dans lesquels nous intervenons ? Les deux questions appellent une réponse commune. Le GOO est un instrument de production sonore multi-tête, il est aussi un outil de multi-diffusion. La multiplication des systèmes de diffusion, donc des possibilités d’écoute du son, implique une multiplicité de points de vue sur l’espace d’intervention et sur la forme sonore dans cet espace : le son devient un révélateur et un mode de reconfiguration de l’espace.
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Le GOO est un espace de production-diffusion collectif initié par Apo33. Il se présente comme un réseau d’ordinateurs de traitement du son et un ensemble de moyens de diffusion. Lors de présentations publiques, les artistes et conseillers permanents -Sophie Gosselin, Luc Kerléo, Julien Ottavi, Jean-François Rolez, Emmanuel Leduc et Jean-Philippe Roux- invitent des artistes à proposer via internet des sons (prises de son directes, échantillons…) comme unique source du dispositif. Les artistes du GOO, avec des outils informatiques personnels et sur le réseau, travaillent ces propositions et développent des espaces sonores sur le lieu de présentation et au-delà.
Dans une salle, des sons se mêlent, se déplacent, glissent, claquent, bruissent depuis divers points de diffusion. Dehors, une radio émet quelques sons entendus dans la salle… En se déplaçant, on traverse des intensités sonores, des espaces se déploient, se constituent. Une grappe de casques d’écoute, des enceintes acoustiques, des ordinateurs occupent ça et là l’espace. Une source sonore relie les machines par un réseau de câbles , des points de diffusion à proximité de chacune offrent une écoute directe du travail en cours. Les multiples points d’accès au travail sonore entraînent une perte d’unité formelle, on se déplace pour former son écoute. En amont, un travail invisible a lieu. Des artistes distants collectent des échantillons, captent des sons environnants, créent des constructions sonores qui alimentent un serveur source sous forme de fichiers audio ou de flux traité directement par les membres du GOO.
Dans une période où les techniques numériques et les réseaux de communication travaillent les formes musicales et sonores, leur modes de construction et d’apparition, le GOO se développe comme terrain de recherche. L’hypertexte met en crise les conceptions linéaires. L’accès à un nombre croissant d’informations (dans certaines contrées) met en crise la reconnaissance des sources et la responsabilité tant du « diffuseur » que du « récepteur », par-là entraîne une convergence des deux.
À travers un protocole de travail discuté à chaque présentation et basé sur une structure technique vide le GOO met en jeu la responsabilité de ses membres vis-à-vis de participants distants et des visiteurs. Comment interpréter, non une écriture musicale, mais les intentions à l’œuvre dans les sons/pièces offert(e)s ? Comment les artistes du GOO jouent de ces propositions, ouvrent un espace de discussion entre les sons ? Comment apparaît ce travail dans l’espace réel du lieu de présentation ? Quelle position les artistes du GOO occupent dans cette chaîne ? Quelle écoute des artistes et des visiteurs apparaît dans un tel dispositif ? Parmi d’autres, ces questions orientent les recherches et chaque nouvelle étape du projet.
La séparation production, post-production puis diffusion est ici remise en cause. Leur simultanéité montre l’économie de l’œuvre, c’est-à-dire que les conditions de production et la monstration de formes plastiques sont concomitantes et qualifient ensemble le GOO comme proposition artistique : le GOO montre ce qui le fait.
Le GOO n’est pas un « objet plastique » sous-tendu par une unité, il se constitue dans des unités temporaires et non conclusives, dans les écarts qui l’animent. Un principe d’incertitude est délibérément mis en place, il travaille les relations des intentions à la finalité plastique. La démultiplication des espaces de diffusion (espace physique, radio émission, Citizen Band, diffusion en ligne et wifi), la multiplicité des points d’écoute sur le travail se faisant, permettent, au-delà de l’ improvisation ou d’une simple combinatoire, le déroulement d’espaces a-centrés, de formes sonores multi temporelles, une attention affirmée sur l’écoute, le déploiement de constructions mentales à partir de ces espaces et temporalités hétérogènes.
Jean-Philippe Roux, 30 mai 2003