La CIA (cellule artistique du collectif apo33) est née en juin 2002 à partir d’une invitation par le collectif la Valise pour une exposition dans les Jardins Familiaux de Malkoff (Nantes). Le contexte des Jardins Familiaux nous a alors posé trois enjeux autour desquels s’est articulé la réponse et le projet artistique d’apo33 :
_invité en tant que collectif il s’agissait de trouver un mode de création collectif à partir de l’élément commun à chaque membre : la création sonore. [un mode de travail et un medium]
_la proposition artistique devait prendre en compte la spécificité du lieu, du territoire des Jardins Familiaux, à la fois comme espace social et lieu indéterminé par rapport aux lieux d’exposition dans lesquels sont généralement présentées les propositions artistiques. [un territoire]
_intervenant dans un espace social déjà occupé par des jardiniers (et non dans un cube blanc sur le modèle de l’espace d’exposition), la proposition devait prendre en compte deux rapports au public (ou deux types de publics) différents : le public dans son sens classique qui viendrait visiter « l’exposition » une fois celle-ci installée et un public qui n’était pas vraiment un public puisqu’il était actif sur le terrain : les jardiniers qui nous accueillaient avec lesquels il s’agissait de construire une relation d’échange et de collaboration. La proposition artistique devait intégrer une dimension sociale (et non plus se limiter au rapport esthétique du public-spectateur). [un rapport social]
A ces 3 enjeux posé nous avons trouvé la réponse et le point d’articulation dans la radio. [un outil]
Le projet artistique d’apo33 s’est depuis développé sous différentes formes gardant toujours comme instrument d’articulation de son action l’élément radiophonique. Partant du son, notre projet artistique s’étend actuellement aux marges de l’architecture, du multi-média et des arts visuels. Si notre projet traverse ces différentes disciplines ce n’est pas par une volonté a priori de faire un projet interdisciplinaire, mais constitue le développement nécessaire d’un projet artistique qui trouve son point d’articulation dans la radio.
Pour comprendre le développement du projet de la CIA il est nécessaire d’expliciter quel rapport à la radio et quelle forme de radio sont en jeu. Le phénomène radiophonique découvert au début du 20ème siècle se développe sous deux formes : la première forme, la plus connue, est celle de la radio diffusion. La deuxième forme, qui est actuellement en développement dans la société, est la radio communication.
La radio a eu une fonction déterminante dans l’histoire de l’art sonore ou musiques expérimentales : Pierre Schaeffer a inventé la musique concrète dans le contexte de la radio diffusion. Dans son ouvrage ’Traité des objets musicaux’ il expose la théore de sa recherche. Il conceptualise une définition de la musique à partir de la radio diffusion pensée comme « chaîne électroacoustique » à travers la métaphore de la « boîte noire ».
La radio fonctionne comme un dispositif technologique greffé sur le réel qui digère des éléments captés dans le réel pour renvoyer le résultat de la digestion de l’autre côté de la chaîne sous la forme d’« images » (images sonores : sur le modèle du cinéma, d’où le terme de « cinéma pour l’oreille » pour qualifier la musique concrète).
La chaîne électroacoustique de la radio-diffusion fonctionne comme un système centralisé (un émetteur central) et renvoie à une vision centralisée et individualiste du monde : un sujet-individu (le compositeur ou l’artiste) manipule un instrument (la radio) pour produire des représentations (images) envoyées à une mutiplicités d’individus isolés, coupés les uns des autres (dans leur les foyers). La boite noire de la chaîne électroacoustique se greffe sur une réalité qui lui extérieure et constitue un détour « digestif » dans cette réalité.
Le shéma de la radio-communication est radicalement différent et ouvre de toutes autres perspectives de travail, perspectives que nous tentons d’explorer avec la CIA.
La radio communication correspond au mode d’utilisation radiophonique en jeu dans les systèmes talkies-walkies ou CB… des systèmes fonctionnant en réseau, mettant relation des unités indépendantes.
Ici il ne s’agit plus de chaîne écletroacoustique mais de réseau et l’image métaphorique qui permet de représenter ce système n’est pas la boîte noire mais le la toile d’araignée.
La radio communication met en jeu un système décentralisé et renvoie à une vision décentralisée et collective du monde. Le réseau ne se définit pas par rapport à une réalité extérieur sur laquelle il vient se greffer mais devient une entité autonome, il forme un système d’unités relatives. C’est comme si la boite noire avait fini par digérer la totalité de la réalité pour la transformer en image et s’était étendue sur toute la planète sous la forme d’internet.
Actuellement de plus en plus de données passent par le réseau : toutes nos actions quotidiennes sont suivies et recodées par le réseau (téléphone portable, distributeurs bancaires, paiements par cartes bancaires….). Ce qui devient intéressant alors ce n’est plus comment un Sujet-individu (artiste ou compositeur ou intellectuel etc…) produit une représentation, mais d’explorer les points de connexion et de rupture, de continuité et de discontinuité entre les différentes strates du réseau. On passe de la chaîne écletroacoustique à un monstre de réseaux : un automate de réseaux. Cette réalité rézomatique constituée par l’ensemble des strates matérielles et virtuelles est ce que nous appellons l’hyperarchitecture.
L’hyperarchitecture c’est de l’architecture hors-sol (comme l’agriculture hors-sol) c’est-à-dire la négation de l’architecture (dans son sens classique) : c’est l’architecture dans le sens informatique (architecture réseau). Ce qui importe ce n’est donc plus la structure qui construit un espace, mais comment un espace est traversé de réseaux et les points de jonction et disjonction qui se créent dans ce réseau de réseaux.
Ce qui nous a amené à développer ce concept d’hyperarchitecture c’est un projet développé par la CIA intitulé le Poulpe.
On pourrait envisager le Poulpe comme la forme matérielle de cette hyperarchitecture.
Le Poulpe (ou ce qu’on appelle aussi « machine urbaine ») est un Automate de réseaux, un filet de réseaux dans lequel le corps et l’esprit sont pris.
Face au Poulpe le corps est passif : le Poulpe capte les effets et mouvements du corps dans l’espace et les transforme en images reproductibles. Il introduit le corps dans un processus de fantomatisation : le corps est pris dans une galerie des glaces où son reflet se dédouble à l’infini (déréalisation du corps).
Le son permet de manifester les mouvements et flux invisibles du réseau.
Mais toute une autre partie du travail de la CIA a consisté à penser et développer un rapport au Poulpe où le corps se positionne de manière active : là il ne s’agit plus d’hyperarchitecture mais plutôt de ce qu’on pourrait appeler de l’hyperanarchitecture.
Ce travail se réalise dans le projet du Dispositif Radiophonique Mobile qui consiste à créer des configurations d’interventions à partir de l’utilisation et détournement de dispositifs de communication portables : talkies-walkies, CB, etc….
En situation d’intervention, une constellation d’acteurs déploie des stratégies d’intervention à l’intérieur du Poulpe (ou machine urbaine). Ces interventions se déploient généralement dans l’espace urbain, sous la forme de ce qu’on appelle des Zones d’Essai Temporaires. L’enjeu consiste alors à inventer des modes d’intervention collectifs qui dessinent une constellation active à l’intérieur du réseau anonyme et de la “ville générique”.
Le son devient alors le médium dans lequel s’exprime la forme de ces stratégies d’intervention / constellations.
En intervenant les acteurs échappent à la répétition continue de l’automatisation (fantomatisation) : ils instaurent un présent relatif à un moment et à un lieu, ils instaurent une discontinuité dans le flux continu des données et images.